"Marie Chartres n'écrit pas, comme beaucoup le font, à partir de l'écorchure et une fois amorcé le processus de cicatrisation. Elle écrit de l'intérieur, depuis le centre du cratère et à l'intérieur d'une écorchure sans bords. C'est un livre de sang et de chair, ce sont des livres de chair arrachée, des arpents de peau dépecée, c'est l'enfance qui remonte à la gorge et une écriture au couteau, une qui fore jusqu'au fin fond des tripes et n'épargne rien.
D'abord l'enfance, donc, et déjà toute sous le signe de l'arrachement et de la rupture. Brisures, éclatements incessants de la mère qui ne tient pas ensemble, dont la tête est chaudron bouillonnant au couvercle qui saute très régulièrement. Ligne de fuite, ligne brisée qu'est la présence du père bientôt réduite à un évanescent souvenir.
Restent les enfants grandis sur les décombres de cette vie déconstruite. Un frère, une soeur, et, chacun à sa manière, atteint au plus vif de ses fondements.
En courts fragments déchiquetés, Marie Chartres dresse un état des lieux du carnage.
Père en allé, absence béante, inflationnelle, mère dont la folie invasive submerge et couvre tout l'espace disponible : que reste-t-il à la fin ? Quel territoire élire pour la croissance entravée, tranchée dès l'abord et aux racines.
Pour dire cette presqu'impossible mue, Marie Chartres choisit des mots qui raclent, sourdent, crachent : rage, haine et infinie déréliction.
La soeur et narratrice se mure dans une peau-forteresse et, bien qu'elle multiplie les amants et les tentatives d'effraction, rien ne se fend ni ne s'ouvre. Et la lancinante question, celle qui taraude, c'est: comment ce corps endeuillé, orphelin de son enfance pourra-t-il accueillir un autre corps, nourrir une autre enfance? Le frère, quant à lui, s'inscrit dans la ligne du père, il opte pour la fuite perpétuelle. La fuite et le raclement à vif, l'excavation. Vider ce corps de toute substance, le décharner jusqu'à l'extrême, le quintessencier pour qu'il ne soit plus nulle part préhensible, pour explulser enfin "cette bête sur la peau" qui tout dévore.
Et il faut s'arrête à la langue toute de syncopes, de saccades sombres et démembrées, éructées et finement nervurées. Langue d'ellipses furieuses et de transe poétique.
Une submersion"
BH 04/11