Un cri silencieux

"Je n'ai pas écrit un seul poème en 4 ou 5 mois, mais je refuse de m'en faire ; ça n'est pas mon genre de descendre dans la rue avec des poèmes collés sur mon front. La seule inquiétude c'est que le poème puisse prendre forme lui-même - il y a trop de types qui les extraient avec les ganglions encore attachés, sans yeux, sans pieds, juste un rafistolage de mastic et de gueule terne. Moi aussi je m'y suis colleté - me faisant du mouron pour les ombres, les hachures et le visage humain. Griffonner quelque chose sur le papier - un peu de morve - ça peut apparaître d'un grand secours mais en fait pas du tout [...]. C'est lorsque je me bourre la gueule, à fond, et qu'ensuite la froide et humide gueule de bois hurle et m'étreint dans son collier d'acier et de chaînes et de démence, que j'éprouve les peurs les plus merdiques qui soient, des peurs bien réelles, mais merdiques tout de même. Les murs de ma chambre tout entière sont recouverts de cris expérimentaux silencieux. Je les ai encadrés de bleu de gris de vert de rouge de jaune ou de quoi que ce soit d'autre, et même lorsque les bombardiers arrivent et que la ville tremble et que les ampoules s'éteignent et s'allument et que le chat se hérisse de colère sous un palmier, même à ce moment-là les cris tiennent bon, comme des lieux sur une carte, oui, comme des tatouages."
Charles Bukowski, "Correspondance" 1967
Grasset

Comments

[Francesco Pittau]

La correspondance de Buk, très bien. Il a aussi écrit des tonnes de poèmes qui n'existent pas en français. Les versions originales sont accessibles et magnifiquement imprimées. Chez Black Sparrow.

[Anna de Sandre]

Je n'ai pas encore lu ses correspondances. Grâce à vous j'en ai l'envie.

[JCB]

Bukowski savait de quoi il parlait !!!
J'espère que tu tiens le coup, Marie.