Deux belles chroniques :
Sur le site de Livres-addict.fr ( link ) :
C'est un texte qui rebrousse tout. Qui prend à rebours les attentes et les habitudes du lecteur. Qui pratique sans cesse des sorties de route, qui dédaigne hautement les tracés trop nets, les cours rectilignes et les autoroutes de l'écriture.
Un texte qui avance par à-coups, ruées, saccades et secousses sismiques. Une langue râpeuse qui sarcle, fouette, dépèce, violente sans trêve mais avec une infinie douceur. Une forêt d'épines, un cactus dans un écrin des plus suaves.
Un texte qui magnifiquement nous égare en pulvérisant tous les codes de la narration classique.
C'est un poème craché, un flux incantatoire qu'on ne peut assigner ni étiqueter.
Il est question d'un homme et d'une femme annelés, appariés à l'envers.
D'une noce vécue comme une agonie.
D'une enfance éventrée, saignante, béante et qui n'en finit pas de mourir et de renaître, porteuse d'un pouvoir corrosif intact.
Il y a aussi un oiseau sacrifié et cette perte scarifie et hante la femme à l'égal d'une blessure originelle.
Il y a la mère morte, la confusion constante, autour de l'expulsion inaugurale, entre la sortie au jour et l'entrée dans la nuit définitive.
Il y a surtout une voix qui saisit, secoue, prend à la gorge et ne laisse pas en repos. Celle d'une femme en qui l'enfance demeure, totale, intouchée, absolue, perçante comme un cri, comme une peine incompensable et un chagrin inapaisable.
C'est un texte dont il ne faudrait rien dire, qu'il faudrait écouter bruire, balbutier, s'enfler, battre et tempêter.
Un texte dont il faudrait s'emplir et s'empreindre comme d'une prière.
Et les photos d'Akin Cetin qui scandent le texte de Marie Chartres sont aussi énigmatiques, enveloppantes et terribles que les phrases qu'elles accompagnent.
Mais "quel ange n'est terrible" ?
Bénédicte Heim 05/12
Sur le site de "La cause littéraire" ( link ) :
La colonne vertébrale. C’est peut-être ce qu’il faut chercher, débusquer, dans le texte non linéaire de Marie Chartres. La colonne vertébrale, pourtant, c’est bien elle qui saute aux yeux, sur la couverture du livre : l’éclairage de la photo d’Akin Cetin insiste sur la nuque et le haut du dos d’une jeune femme penchée. Vertèbres saillantes. Corps ployé. Le texte s’intitule Immense et rouge, comme un poème de Prévert (Immense et rouge / Au-dessus du Grand Palais / Le soleil d’hiver apparaît / Et disparaît / Comme lui mon cœur va disparaître / Et tout mon sang va s’en aller…) Il va bien être question de sang, dans ce texte, de sang versé et de liens du sang : « Puis il y a eu cet éclair, grand comme une lumière et ce silence, immense et rouge ».
Il y a une histoire, dans ce texte-là. Une histoire terrible de traumatisme et de salut impossible, de naissance et de mort simultanées, de blessures adolescentes et d’errements. Il y a la folie, comme un fatum, et des parents engloutis dans la violence. Il y a une grand-mère et une fillette devenue femme, toujours petite et toujours perdue, consciente peut-être de ses failles mais inapte à les affronter vraiment. Il y a l’histoire d’un couple, la figure d’un époux dépassé et attendri, bienveillant.
Marie Chartres est aussi auteur pour la jeunesse. Elle connaît les codes du conte, l’importance de la couleur-symbole. Avec Immense et rouge, elle livre un texte poétique qui explore la mort et le meurtre, la vie et l’amour, la vérité et sa perception : « Et la méchante petite âme toujours à terre, patiente et lente continue de lisser ses ailes d’archange tandis que l’épouse nuage doucement se métamorphose fantôme sous les doigts de son mari ».
On le voit, ce texte est avant tout écriture. On y décèle une cadence parfaitement maîtrisée. On y entend aussi une voix : « Je ne veux plus rien savoir de cette histoire, je ne veux plus jamais l’entendre. Il baisse les yeux lorsqu’il le lui dit et puis il a ce mouvement de tête, toujours là, comme ça, comme s’il avait honte ou qu’il était blessé mais elle n’arrive pas à s’en empêcher. Elle veut toujours lui raconter l’histoire du petit oiseau au cimetière en caoutchouc. Un conte que l’on raconterait aux enfants avant d’aller dormir » (1).
Pour accompagner le texte de Marie Chartres, Akin Cetin propose des photographies en noir et blanc ou en couleurs, dont le motif principal est toujours décalé vers la gauche, comme pour montrer qu’il n’y a pas d’issue dans cette histoire, pas de projection possible dans un quelconque devenir. Lorsque le sujet est au centre – par trois fois seulement – on est déjà comme au bout du chemin.
La toute jeune maison d’édition Les Inaperçus propose pour sa première publication un livre qui s’écarte résolument des sentiers balisés. L’objet-livre lui-même est impeccable : papier glacé, magnifique rendu des photographies, mise en page sûre. On va les suivre, ces Inaperçus.
Christine Bini.